38 Vous avez appris qu'il a été dit : Oeil pour oeil, dent pour dent. 39 Eh bien moi, je vous dis de ne pas riposter au
méchant ; mais si quelqu'un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l'autre. 40 Et si quelqu'un veut te faire un procès et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton
manteau. 41 Et si
quelqu'un te réquisitionne pour faire mille pas, fais-en deux mille avec lui. 42 Donne à qui te demande ; ne te détourne pas de celui qui veut t'emprunter. 43 Vous avez appris qu'il a été dit : Tu aimeras ton
prochain et tu haïras ton ennemi. 44 Eh bien moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, 45 afin d'être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux ; car il fait lever son soleil sur les
méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. 46 Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Les publicains eux-mêmes n'en font-ils
pas autant ? 47 Et si
vous ne saluez que vos frères, que faites-vous d'extraordinaire ? Les païens eux-mêmes n'en font-ils pas autant ? 48 Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait.
Matthieu 5/38-48.
Né et élevé sous le régime soviétique qu'il n'a jamais songé à
remettre en question, Koriakoff, devenu journaliste, est mobilisé au moment où Hitler se retourne contre la Russie. Après avoir gagné, sur le front, ses galons de capitaine, il rencontre à
Moscou, au cours d'une permission, un vieux bibliothécaire, ami de sa famille, qui lui fait don d'un Nouveau Testament. La lecture des Evangiles est, pour lui, la rencontre du Christ. Transformé
intérieurement et décidé a conformer sa vie à la découverte qu'il vient de faire, il rejoint son corps d'armée, qui avance avec une rapidité foudroyante de Russie en Pologne et de Pologne en
Allemagne. Fidèle à sa résolution, Koriakoff déploie toute l'influence dont il est capable pour protéger les civils, et tout particulièrement l'honneur des femmes, contre les brutalités
auxquelles ils sont inévitablement exposés.
Dans les derniers jours de la guerre, tandis que, dans son
secteur, la fortune du combat joue tantôt en faveur des Russes, tantôt en faveur des Allemands, il a l'occasion, un matin où les troupes soviétiques ont l'avantage, de sauver deux jeunes
Allemandes qui allaient subir la violence de ses soldats. Le même jour les Allemands se ressaisissent et Koriakoff tombe entre leurs mains.
Il est accueilli dans le camp nazi par un capitaine qui le gifle
brutalement, en lui disant: "Vous êtes une de ces brutes soviétiques qui outragez les femmes allemandes!" Le coup est si violent qu'il fait tomber ses lunettes.
Au même moment se présente une fermière allemande qui désigne
Koriakoff en disant: "C'est cet homme qui a sauvé mes deux filles ce matin".
Alors un colonel allemand, qui avait assisté impassible à
l'outrage infligé à Koriakoff, se baisse, ramasse ses lunettes et les lui tend avec un infini respect.
En un instant les murs de séparation sont tombés. Cet Allemand
n'avait plus en face de lui un Russe, ce colonel un capitaine, ce vainqueur un vaincu; il n'y avait plus qu'un homme, dont la dignité avait été injustement bafouée et à laquelle il se sentait
tenu d'offrir une immédiate réparation.
Par ce geste de respect l'Allemand venait de naître à son
humanité, en reconnaissant celle du prisonnier anonyme, auquel la déposition de la fermière avait donné un visage où transparaissait une Valeur qu'il découvrait, identique, dans son propre
coeur.
Cet évènement infinitésimal est, en réalité, immense comme la
naissance de l'homme et comme la naissance de Dieu: En l'homme.
Il y a en tout homme - fut-il mon pire ennemi - plus que lui-même: une valeur, une
présence universelle qui, bien qu'emmurée dans tout nos conditionnements de grade, de race, d'idéologie, de religion, dépasse tout les clivages, rendant ainsi possible la rencontre improbable
d'ennemis qui se reconnaîtront enfin comme frères...
"Et toi aussi, l'ami de la dernière minute, qui n'aura pas su ce que tu
faisais. Oui, pour toi aussi je le veux, ce MERCI, et cet "À-DIEU" en-visagé de toi. Et qu'il nous soit donné de nous retrouver, larrons heureux, en paradis, s'il plaît à Dieu, notre Père à tous
deux. AMEN!
Ce sont les derniers mots du testament spirituel du Père Christian de Chergé, Prieur de Tibhirine, qui avait ainsi
anticipé la rencontre qu'il aurait à vivre avec celui qui viendrait l'égorger...
Bien à vous tous dans cet Amour des ennemis qui ne peut que se recevoir du Père.
Votre Frère Bernard-Marie.